7 méthodes qui font leurs preuves pour fixer des objectifs

Introduction

Nous sommes en 1981. Les usines sont mécanisées, la mondialisation est un concept en gestation et les actifs financiers ne sont pas encore le nerf de la guerre. Dans ce contexte, le seul levier encore disponible pour accroître davantage la productivité est de créer une dynamique d’entreprise forte parmi les collaborateurs afin que tout le monde s’investisse au maximum.
Voilà qui tombe bien, le n°70 de Management Review vient de paraître et un certain George T. Doran, directeur de la planification d’entreprise, fait part d’une idée révolutionnaire : fixer des objectifs SMART (Spécifiques, Mesurables, Atteignables, Réalistes, Temporels). Ces objectifs ont le mérite d’offrir un cadre clair, structurant et facilement compréhensible, sans compter qu’ils permettent de comparer l’engagement des collaborateurs en un claquement de doigts. Ni une ni deux, les directions d’entreprise s’en emparent, les managers en font leur livre de chevet.
Passons maintenant en 2025. Cela fait plus de quarante ans que la méthodologie SMART s’est imposée, et avec raison. Pourtant, d’autres concepts gagnent tout autant à être connus, soit pour étoffer, soit pour se substituer à cette méthode. Car loin d’être une fin en soi, la parution de l’article de George Doran constituait en réalité une porte ouverte vers de nombreuses autres théories et mécaniques pour fixer des objectifs en entreprise.
C’est d’ailleurs toute la raison d’être de cet article, qui va vous proposer pas moins de 7 approches alternatives, ancrées dans la psychologie, la sociologie ou le bon sens terrain, pour remettre de l’intelligence et de l’impact dans cet exercice devenu trop routinier.

1. Théorie de l’autodétermination : la motivation par l’inclusion

La théorie de l’autodétermination élaborée par les professeurs Deci et Ryan à partir des années 1970 distingue deux types de motivation que nous possédons toutes et tous. Une première intrinsèque, donc liée à l’intérêt personnel, à l’autonomie, au plaisir d’apprendre, et une seconde extrinsèque, c’est-à-dire liée aux récompenses ou pressions extérieures. Pour simplifier, nous sommes donc motivés d’une manière quand nous travaillons pour nous-mêmes et d’une autre manière quand nous travaillons pour une autre personne ou, dans notre cas, une entreprise.
Or fixer des objectifs en les imposant de manière unilatérale et sans dialogue, même s’ils sont pertinents au regard de la stratégie d’entreprise, vont éroder chez les collaborateurs non seulement la première motivation intrinsèque, mais également la seconde motivation extrinsèque. Quand bien même une finalité matérielle proposée par l’entreprise se dessine pour le collaborateur (recevoir son salaire, obtenir une promotion …) la volonté et l’énergie pour y parvenir se réduiront d’autant plus que la motivation intrinsèque sera éludée, car cette dernière seule est le véritable moteur de notre engagement à accomplir quoi que ce soit au cours de notre vie.
Ainsi, bien qu’une motivation déséquilibrée en faveur de l’intrinsèque soit acceptable, l’inverse n’est pas vrai. Aucune motivation exclusivement extrinsèque, c’est-à-dire imposée par autrui (même contre rétribution), ne provoquera l’engagement sincère espéré chez les collaborateurs. La meilleure façon de parvenir à susciter engagement et conviction reste encore de les faire participer à la définition de leurs propres objectifs pour leur permettre de comprendre le “pourquoi” et y trouver du sens. Et en cela, toute opportunité de discuter avec les collaborateurs est bonne à prendre, les entretiens annuels figurant en tête de liste.

2. Effet Ringelmann : vertus et limites du pilotage d’équipe

Nous partons cette fois-ci chercher une vérité énoncée dès 1913 par l’agronome Français (Cocorico) Maximilien Ringelmann qui ne s’est pas embarrassé pour nommer sa théorie : l’effet Ringelmann. Cet effet désigne le phénomène selon lequel la performance individuelle diminue à mesure que la taille d’un groupe augmente. Plus précisément, lorsqu’un objectif est attribué à un collectif plutôt qu’à un individu, certains membres du groupe seront naturellement enclins à fournir moins d’efforts, persuadés que d’autres compenseront. C’est ce que l’on appelle également le risque de dilution de la responsabilité.
Pour ce qui est de fixer des objectifs, cela signifie que des objectifs purement collectifs peuvent entraîner un désengagement individuel, notamment si les rôles ne sont pas clairement répartis au sein du groupe ou si la contribution personnelle n’est ni mesurée ni reconnue. Il est donc possible de retrouver paradoxalement des objectifs collectifs atteints avec succès, alors même que plusieurs membres de l’équipe se sont totalement désengagés en termes d’investissement personnel.
La lutte contre ce risque de dilution de la responsabilité va passer par la recherche d’un équilibre idéal à atteindre entre objectifs individuels et objectifs collectifs. Le collaborateur doit à la fois pouvoir sentir qu’il a une réelle incidence sur la réalisation de l’objectif de groupe, mais également que ses objectifs individuels constituent un indicateur pertinent pour jauger de son engagement dans son travail.

3. Théorie de la charge cognitive : trop d’objectifs tue l’objectif

Moderniser, ajuster, mettre à jour, affiner. Chaque année, de nouveaux KPIs jugés plus ancrés dans le réel et plus utiles à l’exploitation des données s’ajoutent à la légion des précédents, sans toutefois que les moins pertinents ne soient supprimés au passage. Résultat : les indicateurs à suivre se transforment en une longue liste au Père Noël, les véritables priorités deviennent plus floues et le collaborateur perdu dans cette mare d’informations risque de subir une surcharge cognitive.
Dans ce contexte, la théorie de la charge cognitive développée par le psychologue australien John Sweller à la fin des années 1980 met en mots ce qui peut s’apparenter aujourd’hui à une évidence absolue : la mémoire humaine a une capacité limitée. Lorsqu’elle est surchargée d’informations ou de tâches simultanées, les performances et la capacité d’apprentissage s’effondrent. Lorsqu’il s’agit de fixer des objectifs, cette théorie montre qu’un collaborateur à qui l’on assigne trop d’objectifs à la fois peut perdre en efficacité, en motivation et en clarté d’action.
Le travail à accomplir réside ici davantage entre les mains des managers ou, éventuellement des directions d’entreprise, qui vont devoir éviter de céder à la tentation du « tout ». Quand bien même il serait possible de mesurer via des objectifs clairs la progression des collaborateurs sur l’ensemble exhaustif de leurs tâches, il est important au contraire de hiérarchiser et prioriser les objectifs les plus pertinents au regard de la stratégie d’entreprise, ce qui viendra autant vous servir vous-même que le collaborateur final.

4. Loi de Goodhart : quand la mesure devient absurde

“Quand une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure.” théorisait en 1975 Charles Goodhart, conseiller de la Banque d’Angleterre et professeur à la London School of Economics. Une loi qui, de facto, s’applique aussi au management.
Des objectifs mal choisis ou détournés de leur sens premier peuvent conduire à des comportements contre-productifs, une perte de qualité voire du remplissage de quota.
Par exemple, un délai de réponse client extrêmement court n’est réellement une réussite que si la réponse apportée au client est satisfaisante, de même que des chiffres de vente éloquents ne sont à valoriser que si les ventes ont permis une fidélisation de la clientèle plutôt que de marquer des transactions uniques, sources de futur mécontentement.
En règle générale, il faut toujours garder en tête qu’un objectif n’est pertinent que si son indicateur est bien conçu, bien interprété, et utile au terrain. Parfois, il peut être plus judicieux pour l’entreprise, bien que d’apparence contre-nature, de demander à ses collaborateurs de faire seulement « aussi bien », plutôt que de faire mieux, afin de consolider les réussites actées de l’entreprise.

5. Goal Setting Theory de Locke et Latham : entre paliers et ambition

La Goal Setting Theory (ou simplement Théorie de la fixation d’objectifs en bon Français) a été émise d’abord dès 1968 par Edwin Locke, psychologue Américain, avant qu’il ne soit rejoint et encouragé par Gary Latham, psychologue Canadien spécialisé dans le domaine du travail. Cette théorie démontre qu’un objectif ambitieux mais atteignable stimule davantage la performance qu’un objectif plus facile.
Cela suppose un environnement de confiance pour le collaborateur, accompagné de feedback régulier avec la possibilité de progresser par paliers. L’objectif ne doit pas être une montagne infranchissable, mais une trajectoire réaliste.
Dans cette optique, proposer au collaborateur un objectif semblant de prime abord inabordable du fait de sa complexité ou son volume est tout à fait envisageable. Pour parvenir cependant à un résultat, il ne faut pas hésiter d’une part à le scinder en plusieurs sous-objectifs, et d’autre part il est important d’effectuer un accompagnement du collaborateur palier par palier pour éviter toute désillusion finale tant pour lui-même que pour le manager et la direction. De façon générale, la confiance attribuée au collaborateur au regard de la tâche à accomplir va le plus souvent le motiver à s’investir davantage que pour une tâche d’importance moindre.

6. Temporal Construal Theory : le facteur Temps

Dans la lignée de la Goal Setting Theory, faisons désormais un saut dans les années 2000 à l’assaut d’un autre anglicisme élaboré, une fois encore, par deux psychologues : la Temporal Construct Theory, ou Théorie de la Construction Temporelle. Cette théorie-ci stipule que fixer des objectifs à long terme a davantage de risque d’être déconsidéré par les collaborateurs.
En effet, plus une échéance est éloignée dans le temps, plus elle est perçue de manière éthérée et peine à mobiliser. Soit les paramètres de l’objectif peuvent apparaître comme abstraits ou incertains (vendre un produit que l’entreprise ne sortira que dans plusieurs mois, par exemple) soit l’objectif lui-même peut sembler totalement décorrélé de la réalité de l’entreprise (on peut se souvenir ici du virage amorcé par les banques qui se sont mises à vendre des assurances et qui, pour cela, ont établi un catalogue de produits auquel les banquiers eux-mêmes étaient parfaitement étrangers).
Il est donc crucial de fractionner les objectifs dans le temps en instaurant des jalons, des points d’étape, des rétroplannings, quitte parfois à savoir garder dans les tuyaux un objectif que l’on sait vouloir donner dans le futur car le moment n’est pas encore propice pour le dévoiler. Le temps, s’il peut être un outil de contrainte, peut et doit également être un levier de mobilisation.

7. L’effet Dilbert : et si fixer des objectifs devenait totalement absurde ?

“Dilbert”, pour celles et ceux qui n’ont pas eu l’occasion de rencontrer le personnage, est un comic strip Américain, l’équivalent de nos petites cases de BD qui ornaient certaines pages du journal. Or Dilbert, le protagoniste qui donne son nom au comic, est un ingénieur informaticien constamment aux prises avec des objectifs dénués de sens qui lui sont imposés par sa direction déconnectée de la réalité.
Bien que n’étant pas une théorie professionnelle au sens académique du terme, la réussite au niveau mondial de ce protagoniste et de ses malheurs en entreprise font de ce que l’on nomme désormais « l’effet Dilbert » une réalité indiscutable de l’absurdité parfois inhérente au monde du travail, dont les exemples sont nombreux.
En voici quelques-uns tirés du chapeau :

– changer de fournisseur pour réaliser des économies en omettant que le processus de changement de fournisseur coûtera trois fois plus cher à l’entreprise que les économies réalisées,

– instaurer un suivi de la satisfaction client concernant le service P-17 alors que le service P-17 est le service juridique interne de l’entreprise qui n’a aucun contact client,

– rendre obligatoire la prise d’un jour de télétravail par semaine pour l’ensemble des effectifs d’une compagnie de transport routier, chauffeurs inclus.
En bref, quand un objectif est perçu comme inutile, incohérent ou “purement administratif”, il génère du cynisme, du décrochage, voire de la résistance passive. Un objectif ne doit jamais être la simple expression du pouvoir de celui qui peut le donner !


Conclusion : 7 méthodes qui ont fait leurs preuves pour fixer des objectifs

Fixer des objectifs ne doit pas se résumer à imaginer une case et les conditions sous lesquelles le collaborateur pourra la cocher. C’est avant tout donner un cap, engager une dynamique, créer du lien entre ce que fait un collaborateur et ce que vise l’organisation.
Derrière chaque objectif il doit y avoir une relation, une intention, et un choix de méthode. Sortir du modèle SMART pour explorer d’autres pistes, c’est redonner de la richesse à cet acte managérial fondamental car contrairement à ce que l’on pense habituellement, et bien que cela puisse paraître paradoxal, l’objectif n’est pas la fin, mais le chemin.
Et chez vous, quelle méthode pour fixer des objectifs ?

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